S A H R A O U I E S |
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Pour faire suite aux articles parus dans notre dernier numéro sur les missions d'observations au Sahara Occidental occupé, nous publions ce dessous le rapport concernant la première de ces missions qui a été rédigé à l'intention de la Ligue Suisse des Droits de l'Homme.
R A P P O R T
de la mission d'observation lors de deux procès de Sahraouis à Laâyoune, capitale du Sahara Occidental, du 17 au 22 septembre 2002
Mandatés par la section genevoise de la Ligue suisse des Droits de l'Homme, nous nous sommes rendus1 à El Ayoun, capitale du Sahara Occidental, pour assister au procès de Nasiri Ahmed.
Petit rappel historique
(...) Les Sahraouis des territoires occupés subissent
l'occupation, les vexations, les discriminations, la
répression. Ils apprennent à résister et
à survivre tant bien que mal. L'avènement du nouveau
roi Mohamed VI ayant amené une timide liberté
d'expression, certains d'entre eux se sont regroupés au sein
d'une organisation marocaine de défense des droits de l'homme
: Forum Vérité et Justice en créant sa section
Sahara. Manifestations, sit-in de protestation, au Sahara Occidental
comme au Maroc, sont très souvent réprimés par
les forces de l'ordre marocaines et les leaders, comme certains
participants, arrêtés et parfois traduits devant les
tribunaux
Procès de Nasiri Ahmed
Nasiri Ahmed, l'un d'eux, a été arrêté
le 19 mai 2002 à Rabat. Ancien détenu politique, il a
déjà été emprisonné en 1992 et de
1993 à 1994. Membre de Forum Vérité et Justice,
section Sahara, il a participé au congrès national de
son organisation à Rabat en juin 2002. La police l'interpelle
alors qu'il se rend à la direction de la Sûreté
nationale pour renouveler sa carte d'identité.
Transféré à Laâyoune, Nasiri est
détenu depuis lors à la « prison noire » de
la ville. Il est accusé d'avoir été un meneur
lors de manifestations de protestation à Smara, autre ville du
Sahara Occidental, en novembre 2001, pour protester contre le
chômage, les atteintes aux droits de l'homme et pour
réclamer l'indépendance.
Son procès, prévu le 10 juillet 2002 avait été reporté de 14 jours à la demande de ses avocats qui sollicitaient un délai pour prendre connaissance du dossier. Le 24 juillet, le procès est ajourné car des témoins, cités par l'accusation, font défaut. Nouvelle date est prise pour le 18 septembre. C'est à cette nouvelle audience que nous devons assister.
Un procès escamoté
Arrivés la veille par avion et accueillis par des
Sahraouis membres de Forum Vérité et Justice, nous nous
sommes rendus, ce mercredi 18 septembre 2002, dès 8 heures 30
du matin, au Palais de Justice accompagnés par l'un des
avocats de Nasiri. Comme le veut la coutume, ce dernier nous
présente au premier Président du Tribunal d'appel, M.
Malainine Maoulainine qui nous reçoit fort courtoisement et
nous fait une profession de foi sur l'impartialité de la
justice marocaine la comparant à la nôtre ! 9 heures
ayant sonné, la séance commence et nous nous rendons
à la salle d'audience pour apprendre que le procès est
une nouvelle fois reporté au 30 octobre prochain à
cause de témoins à charge qui, cette fois-ci, n'ont,
paraît-il, pas reçu la convocation.
Nous retournons alors voir le premier Président pour lui faire part de notre étonnement et de nos interrogations. Surpris lui-même, ou feignant de l'être, il nous dirige alors vers le Procureur général, M. Mustafa Lahmi qui nous reçoit à son tour et se dit fort étonné de la tournure des événements. Nous faisons remarquer que les témoins absents sont, selon nos renseignements, tous des fonctionnaires de police. Il est donc étonnant que l'administration n'ait pas fait son travail. Nous annonçons alors au Procureur que des observateurs reviendront à Laâyoune le 30 octobre. Il nous fait la promesse que de telles absences ne se reproduiront pas.
Nous ne sommes pas juristes ni spécialistes du droit marocain, mais nous ne pouvons nous empêcher de nous étonner de ces disfonctionnements. Par deux fois, les 24 juillet et 18 septembre, des témoins à charge ne se présentent pas au procès, alors qu'ils sont des fonctionnaires de police : ils n'auraient pas été convoqués. Pourtant, en admettant que l'administration ait vraiment mal travaillé, il n'était pas très difficile de les obliger à comparaître en les envoyant quérir. Il nous semble plutôt que l'administration a bon dos et que c'est de volonté délibérée de la part des autorités que ces hommes ne se sont pas présentés. C'est une manière comme une autre de retarder un procès qui ne peut pas se baser sur des accusations sérieuses.
Nous avons appris par la suite que la séance du tribunal fixée au 30 octobre, et à laquelle assistaient d'autres observateurs, a été également reportée pour les mêmes raisons. N'est-ce pas la preuve que ce procès n'a aucune justification un tant soit peu crédible ?
Un procès en appel pour 5 Sahraouis
Le lendemain, 19 septembre, se tenait un autre procès, en
appel celui-là, de cinq chômeurs sahraouis
condamnés le 2 septembre dernier pour avoir, paraît-il,
organisé une manifestation à Lâayoune. Les peines
prononcées étaient les suivantes:
A noter que le bannissement constitue une violation de l'art. 49 de la IVe Convention de Genève qui stipule : « Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre Etat, occupé ou non, sont interdits, quel qu'en soit le motif ».
Ces cinq Sahraouis avaient donc fait appel et se
représentaient devant le juge.
Ils étaient accompagnés de leur camarade
relaxé.
La salle du tribunal de Laâyoune est pleine à craquer. Sur les bancs de la travée de gauche plus de 50 femmes se serrent. De l'autre côté du couloir, dans la travée de droite, autant d'hommes. Derrière, debout, d'autres hommes et d'autres femmes : plus de 150 en tout, silencieux, tendus, solidaires avec leurs camarades accusés, témoins muets de la résistance du peuple sahraoui devant l'occupant marocain. En face, haut perché, le juge et ses deux assesseurs ; à gauche le procureur. Au centre, dos au public, les six Sahraouis qui resteront, sans bouger, campés sur leurs jambes pendant près de trois heures.
Le procès se déroule, bien sûr, en arabe grâce aux amis Sahraouis qui nous commentent brièvement les différentes phases et le sens des interventions, nous pouvons suivre et saisir le déroulement de l'audience.
Les quatre avocats de la défense sont : Mohamed Sabbari de Marrakech, Mohamed Fadel Leili, Ali Bouta et Ahmed Bouchaab, tous trois de Laâyoune. Le procès se déroule en plusieurs phases. Dans un premier temps, le juge interroge les prévenus qui réaffirment leur innocence. S'ils ont bien participé à une manifestation, par ailleurs autorisée, ils n'en sont point les instigateurs et se sont comportés de manière tout à fait pacifiste. On ne peut leur reprocher aucune atteinte à la paix publique ou à des biens d'autrui.
Après que le procureur a donné sa propre version des faits et souligné qu'il considère ces Sahraouis comme des meneurs, les avocats de la défense prennent une première fois la parole: les rapports de police sur les six jeunes ne sont pas fondés et les accusations fantaisistes. Elles n'ont pas lieu d'être car elles ne reposent sur aucune base sérieuse. Le procureur réaffirme ses conclusions et les avocats reprennent la parole et démontrent, jurisprudence à l'appui, que dans des cas semblables il y a eu relaxe. Ils ne manquent pas de souligner la situation qui prévaut au Sahara Occidental et la légitimité pour le peuple sahraoui de protester contre les conditions de vie qui sont les leurs : chômage des jeunes qui voient des places de travail occupées par des Marocains venus du Nord, répression policière journalière, arrestations arbitraires et disparitions forcées. Pour une troisième fois le procureur reprend la parole et maintient les peines prononcées le 2 septembre. Les avocats interviennent à nouveau pour plaider l'acquittement puis le juge lève l'audience en annonçant qu'il rendra son verdict en fin d'après-midi.
L'impression qui se dégage pour nous de ce procès est qu'il s'est déroulé dans des formes à première vue acceptables, mais que le fond reste lié à la situation politique du Sahara Occidental. La présence d'un nombreux public nous a impressionnés et montré à quel point la population sahraouie affirme sa solidarité avec les siens malgré la répression qui est de règle. Ajoutons enfin que ce fut la deuxième fois seulement que les autorités marocaines acceptaient que des observateurs étrangers assistent à une audience. C'est un petit signe d'ouverture que le nouveau roi veut donner à l'opinion internationale tout en maintenant son intransigeance vis-à-vis de la « marocanité » du Sahara Occidental.
En fin d'après-midi de ce même jour nous apprenons
les conclusions du juge :
il réduit les peines prononcées le 2 septembre et
annule la mesure de bannissement.
Les sentences sont donc les suivantes :
L'annulation de la mesure de bannissement est un point important car le tribunal montre par là qu'il entend respecter les conventions internationales signées par le Maroc. Si nous pouvons nous réjouir de cette sentence, il n'en reste comme coupables par la justice marocaine qui n'admet pas la moindre velléité de résistance à l'occupation.
On peut toutefois se demander, avec beaucoup de modestie, si notre présence a quelque peu influencé ce verdict qui a contredit les conclusions de la première Cour. Ce que nous pouvons en tout cas souligner c'est qu'une présence extérieure à des procès intentés contre des Sahraouis est un signe de solidarité vis-à-vis d'eux et de prise au sérieux de ce qui se passe dans les territoires occupés du Sahara Occidental. C'est aussi une façon de montrer aux autorités judiciaires marocaines que nous suivons ses procédures et que nous restons attentifs à sa manière de respecter les droits de l'homme.
Avec les familles de disparus
Notre séjour au Sahara Occidental avait aussi pour but de
contacter des familles de disparus sahraouis. C'est ainsi que nous
nous sommes rendus, le 20 septembre, à Smara, autre ville du
Sahara Occidental, où une rencontre avec quelques 24 familles
sahraouies nous avait été préparée.
Pendant toute la journée nous avons entendu les
témoignages de femmes, de jeunes adultes qui n'ont plus de
nouvelles de leur mari, père, frère ou parent, certains
depuis plus de 25 ans.
Ils nous racontent en détail l'irruption de policiers ou d'agents en civil, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, dans leur maison, pour s'emparer avec brutalité de celui qu'ils considèrent comme suspect, résistant ou même peut-être membre de ce Front abhorré qui a nom Polisario et qui lutte contre le Maroc occupant le Sahara Occidental. Ils nous narrent les violences de ces sbires puis les humiliations aux postes de police où les familles vont demander des nouvelles de ceux qui leur ont été enlevés ou emprisonnées arbitrairement sans jugement.
Ils nous font saisir cette cruelle incertitude qui est la leur devant ce vide de présence, ce doute quant à leur sort : pas moyen de faire le deuil d'un être cher puisqu'on ne sait s'il vit encore, s'il végète au fond d'un cachot ou s'il a été froidement abattu sans aucune forme de procès. Impossible pour une femme de savoir si elle est veuve ou non, si elle peut refaire sa vie ou si elle doit encore attendre. Après tant d'années, il est peu vraisemblable qu'ils soient toujours de ce monde, mais que les autorités le disent, le reconnaissent, l'annoncent officiellement. Alors la séparation sera consommée, le doute apaisé, la perte acceptée et la vie, suspendue jusqu'alors à ce fil fragile d'un espoir impossible, pourra reprendre un peu plus sereinement : la vérité aura été dite.
Certains de nos interlocuteurs peuvent citer les noms de policiers, de tortionnaires qui ont eu directement à faire avec leurs disparus et les ont maltraités. Il est important de les noter, de les regrouper avec d'autres témoignages, de les publier et de poursuivre ces acteurs de disparitions forcées : ils ne doivent pas rester impunis, même après d'aussi longues années. C'est un devoir de respect vis-à-vis de ces victimes d'un conflit qui n'est toujours pas terminé, même si les armes se sont tues depuis 1991.
Conclusion
Depuis 1975, date de l'occupation du Sahara Occidental par le
Maroc, rares étaient les voyageurs qui pouvaient s'y rendre.
Une poignée seulement, touristes avérés, pouvait
s'y arrêter ou le traverser pour se rendre en Mauritanie.
Quelquesuns, qui avaient des velléités de voir ce qui
se passait dans ces territoires occupés, voire de prendre
contact avec des Sahraouis, ont été vite
découragés, si ce n'est empêchés d'y
débarquer. Ainsi plusieurs délégations de
parlementaires ont été refoulées à
l'aéroport de Laâyoune ; Mme Danièle Mitterrand,
elle-même, fondatrice et présidente de
France-Libertés s'est vue refuser, en 2001, l'accès au
Sahara Occidental : ses prises de position en faveur du
référendum d'autodétermination et du peuple
sahraoui déplaisaient. Le pays était donc quasiment
interdit d'accès aux étrangers depuis près de 25
ans.
L'avènement du nouveau roi Mohamed VI, s'il n'a pas changé d'un iota la politique marocaine vis-à-vis du Sahara Occidental, a cependant desserré quelque peu l'étreinte liberticide. Comme nous l'avons indiqué plus haut, les Sahraouis ont su en tirer profit. Organisés, et grâce à l'avènement du courrier électronique et du téléphone mobile, ils ont créé des liens avec l'extérieur et transmettent des comptes rendus précieux de ce qui se passe dans les territoires occupés. Le BIRDHSO (Bureau International pour le Respect des Droits de l'Homme au Sahara Occidental), dont le siège est à Genève, est, en autres, en contact permanent avec eux.
L'information a donc circulé que des visiteurs, agissant au nom du respect des droits de l'homme, ne seraient pas inquiétés. C'est ainsi que deux juristes espagnols ont été les premiers, au printemps dernier, à assister à un procès intenté à des Sahraouis accusés d'avoir organisé une manifestation de protestation.
Une délégation d'Amnesty International a pu rencontrer, cet été, des familles de disparus. A notre tour, nous nous sommes donc rendus à Laâyoune pour ces deux procès. D'autres personnes, juristes d'Espagne, membres d'associations pour le respect des droits de l'homme (LSDH, France-Libertés entre autres) y sont allées à leur tour comme observateurs à d'autres procès.
Même si l'on ne peut pas évaluer l'impact d'observateurs sur les verdicts des tribunaux, il est facile de se rendre compte que leur présence est un signe fort de la solidarité qui se manifeste envers les Sahraouis et l'expression du regard intéressé que portent des organisations étrangères à ce qui se passe au Sahara Occidental. Certes l'arbitraire du pouvoir judiciaire est loin d'être abandonné et les méthodes policières toujours aussi répressives, mais une brèche a été ouverte et il s'agit d'en tenir compte et de l'exploiter.
C'est pourquoi, il nous paraît primordial que dorénavant, lors de chaque procès à caractère politique de Sahraouis, des observateurs y soient présents pour témoigner de la façon dont la justice marocaine respecte ou non les principes d'un Etat de droit. Ce qu'il faut cependant éviter, c'est qu'il y ait pléthore d'observateurs
à un procès et personne lors d'un autre. Il s'agit donc de créer un minimum de concertation et d'organisation entre les diverses ONG qui s'intéressent à cet aspect juridique du conflit. Il nous semble que le BIRDHSO pourrait remplir ce rôle en lien avec la section genevoise de la Ligue suisse des droits de l'Homme et en concertation avec d'autres associations, dont celle des juristes espagnols, qui sont très actives dans ce domaine.
Il faut également être conscient que les Sahraouis résidant au Sahara Occidental, et avec lesquels on peut avoir des contacts depuis peu, sont une force non négligeable et un apport des plus important pour la construction de l'avenir du peuple sahraoui. Nous avons une responsabilité et un devoir de solidarité vis-à-vis d'eux.
Berthier Perregaux