S A H R A O U I E S |
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Nos amis du comité suisse-alémanique de soutien au peuple sahraoui, le Schweizerisches Unterstützungskomitee (SUKS), se sont engagés depuis l'année dernière dans un vaste projet concernant le domaine de la formation et l'animation de la jeunesse, qui s'étend sur trois ans. Nous le présentons ici, traduit par nos soins de leur bulletin Sahara-Info N° 5 de décembre 2002.
Fatimelou est assise par terre dans la grande salle de réunion de Smara, une province dans les campements de réfugiés sahraouis. Elle est vêtue d'une melhfa bleue, elle a le regard rêveur. Pour cette jeune Sahraouie de 15 ans, ce qu'elle vit aujourd'hui est totalement nouveau: 80 jeunes de 13 à 18 ans sont rassemblés dans le but de donner corps à un projet de trois centres pour la jeunesse. Jusqu'à présent tout se passait différemment. Des membres d'ONG ou d'organisations internationales arrivaient sur place, analysaient la situation, discutaient avec les responsables et décidaient ou non d'entrer en matière.
Aujourd'hui c'est différent. Les jeunes sont consultés. On leur demande de formuler leurs besoins, de participer activement, de développer eux-mêmes des idées, de participer aux décisions. Fatimelou a pour la première fois dans sa vie l'impression d'être importante. Elle et ses 80 camarades sont appelés à prendre des responsabilités. Ou plutôt sont autorisés à le faire.
L'organisation de jeunesse sahraouie, UJSARIO, a mis sur pied, les 2 et 3 novembre 2002, une assemblé des jeunes, un «cabildo abierto», une assemblée générale ouverte. Elle sert à la préparation d'un projet en gestation depuis quelques mois, qui devrait se réaliser bientôt: trois centres de jeunesse à Smara. La construction des centres devrait se faire par les jeunes euxmêmes. Il est prévu qu'ils déterminent aussi ce qui s'y fera.
Dans toutes les sociétés, il est difficile pour les jeunes de devenir adultes. Dans la phase de transition entre l'enfance et l'âge adulte, pendant la puberté, les garçons et les filles doivent se détacher de leurs parents. Ils ne peuvent plus copier leur exemple, ils doivent se trouver une identité propre, Pour réussir cette transition, il faut pouvoir prendre de la distance par rapport aux parents. Quand il y a peu d'espace pour les jeunes, cette distanciation est d'autant plus difficile, et le terme espace est à prendre ici aussi bien au sens concret qu'abstrait. Ce processus est encore plus difficile pour les filles et les jeunes femmes. Elles sont souvent retirées précocement de l'école par leurs parents. Elles ont moins de possibilités que leurs camarades masculins du même âge de suivre une formation en Algérie, à Cuba, en Espagne, ou dans un autre pays, et d'accéder plus tard à des études universitaires. L'école une fois quittée, les contacts sociaux des filles se réduisent fortement. Elles vivent dans la famille, aident aux travaux ménagers. Elles disposent encore moins que les garçons d'un espace où rencontrer des jeunes du même âge. Elles peuvent oublier l'idée d'une formation.
Ce handicap des filles est un phénomène mondial, il n'est pas spécifique au Sahara Occidental. Mais ici le préjudice s'ajoute à un contexte social et politique qui rend encore plus difficile aux jeune filles la recherche d'une identité propre et la prise de conscience de soi. C'est une conséquence de la situation politique particulière. Dans le monde entier, beaucoup de jeunes n'ont pas d'avenir assuré. Pour les jeunes Sahraouis s'ajoute à cela le manque de perspectives politiques. Depuis 1991 le climat est tantôt à l'espoir d'un référendum tantôt à la déception de son report. Ces deux éléments pèsent plus lourds chez les filles, dont les seules perspectives d'avenir se résument au foyer.
Lors du «cabildo abierto» on remarque clairement que les filles ne se résignent pas à cette situation. Après les discussions en groupes de travail, séparés par sexe, on se retrouve le deuxième jour pour discuter des rôles respectifs au sein du projet. Beaucoup de filles déclarent alors: «Nous ne voulons pas être plus longtemps enfermées à la maison», ou bien: «Nous voulons apprendre un métier». Ce dernier point, la formation professionnelle des filles, sera une priorité du projet. Les souhaits exprimés sont souvent «couturière», «dactylo» ou «secrétaire ».
Le projet va tenir compte de ces voeux. La formation professionnelle des filles qui ne sont plus en âge de scolarité est l'un des trois points forts du projet. Ce qui nous amène à faire face à un autre problème, qu'il s'agit de résoudre de façon créative: est-ce que les parents laisseront les filles sortir de la maison ? A l'origine il était prévu que la formation serait uniquement accessible dans le centre de jeunesse principal. Il faudra revoir ce point pour éviter les trop grandes distances du lieu d'habitation, solution qui facilitera l'accord des parents. Les cours de formation, qui ne sont pas des formations professionnelles au sens strict, représenteront une deuxième priorité. Ils s'adresseront aussi bien aux garçons qu'aux filles. Là, comme il fallait s'y attendre, c'est l'informatique qui a été le plus demandé. Au début, les cours d'informatique seront, pour des raisons financières, localisés uniquement dans le centre principal. Les jeunes ont aussi souligné qu'ils aimeraient apprendre des langues. L'espagnol, l'anglais et le français ont été cités dans l'ordre.
Le troisième point fort du projet est constitué par les activités de loisirs. Les trois centres feront office de maison de jeunes. Il y aura des jeux, du matériel de peinture et de bricolage, des tables de ping-pong. Des ballons de football et de volleyball ainsi que des filets ont déjà été envoyés dans les camps en octobre.
Pour chacune des activités citées, des coordinateurs/rices ont été nommés, responsables aussi bien du matériel que de l'organisation. Elles/ils reçoivent un petit salaire (correspondant à FS 50.- par mois). L'équipe de coordination est épaulée par une coopérante française, qui veillera durant une année à ce que le projet se déroule selon le plan et qui informera régulièrement le SUKS de son avancement et des problèmes rencontrés. Les jeunes garçons, qui n'ont pas terminé leur scolarité, n'ont pas participé au «cabildo abierto». Ils constituent le groupe «à problèmes» des campements, en raison des risques de délinquance constatés parmi eux (il s'agit surtout de vols).
Pour ces jeunes une autre solution a été envisagée. Depuis novembre 2002, on leur a trouvé des places de formation en Algérie et en Libye. Cela a déchargé le projet de la recherche d'un grand nombres de places de formation. D'autre part, les coordinateurs/rices, qui n'ont pas de formation adéquate dans le domaine social, auraient probablement été débordés.
Le «cabildo abierto» a permis de répondre à des questions importantes, même si toutes n'ont pas pu être abordées. C'est ainsi qu'il faut trouver, par exemple, pendant les premiers trois ans du projet, d'autres formations professionnelles pour les filles et les jeunes femmes ainsi que des formateurs adéquats disponibles dans les campements.
Michael Schwahn
Comité suisse de soutien au peuple sahraoui, C.P. 177, CH- 1211 Genève 8